Si le seul nom de Holly Maxwell la prédestinait à enregistrer le premier CD de cette collection Live at the Quai du Blues, ce nest bien sûr quun de ces hasards objectifs chers aux surréalistes ! Dès les premières notes, on aura compris quil sagit là de pure magie, dune de ces relations miraculeuses qui se nouent mystérieusement entre une voix et un lieu...
Un lieu qui nest pas banal : des clubs de Blues, il y en a des centaines aux U.S.A., quelques-uns en Europe, et la plupart se ressemblent comme deux gouttes de bourbon. Mais le Quai du Blues a quelque chose dincongru, dirréel: à peine entré au Quai du Blues, on se croirait à Chicago au temps de la Prohibition, dans un de ces speakeasies à la fois clandestins et confortables où sinventèrent le Jazz et le Blues urbain...
Holly Maxwell sy est sentie tout de suite chez elle, puisquelle a grandi à Chicago - bien après le règne dAl Capone ! - et que sa carrière aura été aussi singulière que lest le Quai du Blues. Sa superbe voix de soprano coloratura lavait amenée à apprendre dabord lOpéra. Adolescente, elle chantait le répertoire lyrique allemand, français et italien. Sa voie semblait toute tracée : elle avait tout pour se faire un nom dans la dynastie des grandes cantatrices afro-américaines, de Marian Anderson à Jessye Norman et Barbara Hendricks...
Mais à dix-sept ans, naturellement, elle préfère sortir dans les clubs : 1962, cest lâge dor de la Soul, et elle change de cap. Elle se retrouve dans un de ces innombrables groupes doowop aux noms désopilants : The Tourjourettes. Trois ans plus tard, elle enregistre son premier disque.
Le célèbre journal Chicago Defender lui consacre un article polémique: sa maman y déplore que la belle Holly ségare dans le Jazz et le Blues !
Chicago a toujours été divisé par la lutte des classes. Holly manque de devenir schizophrène : dans les clubs interlopes du South Side, elle végète comme chanteuse de Blues ; dans les bars chics du North Side, elle est vite applaudie comme une excellente Jazz singer, écartelée entre deux modèles un peu contradictoires : Ella Fitzgerald et Billie Holiday. Elle ne les reniera jamais : à la fin des années 70, elle sera la chanteuse attitrée de Jimmy Smith. Mais entre temps, elle sest prise de passion pour Gladys Knight, et surtout pour Aretha Franklin, dont elle apprend les chansons par cur...
Le cur, elle nen manque pas, la voix non plus. Mais lâme ? En 1977 elle entre dans le groupe dIke Turner, un an après la rupture avec Tina. Elle devient son amie de cur, en tout bien tout honneur. Pour le remercier de lui avoir dit brutalement La soul, cest tout ce qui te manque, elle aura ce commentaire magnifique : Ike piétina sans merci les lunettes roses à travers lesquelles javais toujours vu le monde.
Aujourdhui, Holly Maxwell préfère porter des lunettes noires. Son timbre reste très juvénile, seul son phrasé sest brisé pour laisser transparaître ces bleus de lâme sans lesquels elle ne serait quune chanteuse surdouée. Sa diction est devenue plus dramatique, elle descend souvent dans le grave, sans jamais tomber dans le mélo, car il y a toujours une petite lueur éblouissante au bout du tunnel de ses longues et subtiles improvisations. Car Holly a gardé de son expérience du jazz cette liberté souveraine quest lart suprême du scat ( chant improvisé en onomatopées ) et une méfiance instinctive à légard des clichés trop faciles du Blues au kilomètre... De la musique, de lémotion, rien dautre !
Loin des paillettes du fric et du rock, Holly Maxwell a toujours fait le choix du Blues et du Jazz, le choix de lâme.
Cest aux artistes comme elle quest dédiée cette série de CD. Si Holly Maxwell inaugure la collection Live at the Quai du Blues, ce nest ni un choix ni un hasard : cest de la magie.
(...) Holly Maxwell est lune des dernières reines du soul blues, héritière des plus grandes hurleuses funk, les Bessie Smith, Dinah Washington, Aretha Franklin
(...), voire même des hurleurs noirs (HowlinWolf, ScreaminJay Hawkins). Sacrée généalogie, intimidante, historique, que lon croyait définitivement interrompue.
Libération 18 Mars 1999