Pour un conservatoire du plaisir musical
Automne/Hiver 2000

Quand nous avons inauguré ce lieu, nous savions qu'il était utile, sans soupçonner à quel point il deviendrait nécessaire. Le blues a cette qualité qui est aussi son défaut : nous l'aimons tant qu'il nous semble éternel, comme le gospel qui est en même temps son père et son frère jumeau. Ces musiques - nées à la même époque que celle de Mozart - à la fin du XVIIIe siècle - sont pourtant infiniment plus fragiles. Ce sont des musiques de pauvres, et qui le resteront...
A d'autres les grasses subventions, la gabegie aristocratique des opéras, la manne républicaine qui dégouline sur les orchestres symphoniques, et même les indulgences bureaucratiques dont profite le jazz, à condition qu'il soit bien de chez nous.
A nous le sort enviable mais compliqué d'être les serviteurs honnêtes et passionnés de "ces musiques de nègres" difficiles à métisser, à naturaliser, qui n'existeraient plus en France sans quelques bars d'hôtels et restaurants vulgaires comme le nôtre, où la musique coule à flot avec le vin de Bordeaux (qui lui, est à 40% subventionné)...
La France a oublié que le blues et le gospel sont nés en Louisiane, province française vendue en 1803 aux Etats-Unis par Napoléon pour 80 millions de francs. C'est donc à l'origine un héritage culturel français, bradé par ce régime dictatorial qui a rétabli l'esclavage.
Si l'on ajoute nos liens historiques avec l'Afrique occidentale et centrale, dont sont issus sans exception tous les créateurs du blues et du gospel, la République Française devrait avoir au moins la décence de reconnaître ces musiques comme une part de son patrimoine national, et les subventionner comme telles.
Car il n'y a aucune raison légitime de consacrer une plus large part du budget national à l'opéra (invention italienne) ou à la musique symphonique (invention allemande) qu'à ces autres musiques encore plus universelles nées en territoire français.
Au moment où l'on accepte de reconnaître la diversité culturelle, ethnique et religieuse de la citoyenneté française, le premier geste devrait être de considérer le blues et le gospel comme une part essentielle de notre patrimoine...
C'est d'autant plus évident quand on sait que toutes les musiques qu'écoutent les jeunes français en sont issues (rock, funk, reggae, ragga, rap, house, techno, etc.)
Alors qu'on cesse de nous taxer, et qu'au contraire on nous aide à jouer notre rôle, qui est d'aider à la survie du plaisir musical, loin de l'académisme comme du show business !
Le Maxwell Café devrait être reconnu d'utilité publique, et bénéficier au moins des largesses que la France a consenti à Eurodisney !!!

Gérald Arnaud & Gérard Vacher

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